Le Chef du gouvernement, Elyès Fakhfakh, a présenté dignement sa démission, hier, au Président de la République, Kaïs Saïed. Selon des sources concordantes et dignes de foi, il aurait finalement répondu positivement à une demande que le Chef de l’Etat aurait formulée depuis quelques jours déjà pour le dénouement de la crise. Une sage décision qui évite au pays davantage de querelles politico-politiciennes mais qui ouvre aussi au Président de la République une nouvelle voie de sortie de crise. Saïed reprend pour ainsi dire les choses en main. Il lui revient de droit de nommer un autre chef de gouvernement, coupant court ainsi aux manœuvres entreprises par Ennahdha pour être aux commandes de l’exécutif.
Pour le dire crûment, la situation du pays n’est pas bonne et son horizon se bouche. Les crises politiques, économiques et sociales s’enchaînent à une cadence rapide, mettant le paysage politique en ébullition et exacerbant les revendications et la contestation. Mais dans ces sables mouvants où les protagonistes politiques s’enfoncent dans les sondages, Kaïs Saïed est le seul à tirer son épingle du jeu : Fakhfakh a jeté l’éponge, Ghannouchi subit une grande pression au Parlement. C’est ce que vient de confirmer les résultats du sondage publié par notre confère Le Maghreb dans son édition du 14 juillet, effectué en collaboration avec l’Institut de sondage Sigma Conseil et dans lequel il a fait état des résultats d’une étude d’opinion réalisée sur 847 Tunisiens âgés de 18 ans et plus. En effet, selon un échantillon conçu selon la méthode des quotas, c’est-à-dire selon le profil « sociodémographique », le groupe d’âge, la catégorie socioprofessionnelle, les zones d’habitat (urbaines et rurales), il a révélé, sans surprise, comme la plupart des sondages publiés depuis les élections 2019, que le Président Kaïs Saïed occupe le haut du podium dans les intentions de vote, avec cette fois-ci, 58,7% du scrutin, et ce, dès le premier tour.
Très loin derrière, mais en se hissant tout de même à la seconde position, on trouve la belliciste présidente du Parti destourien libre, Abir Moussi, qui recueille, elle, 10% des voix.
Quant à Nabil Karoui, président de Qalb Tounès, candidat malheureux au second tour de la présidentielle, face à Kaïs Saïed, qui a été relégué à la troisième position, accuse un net recul en n’obtenant que le maigre score de 8,4% des intentions de vote.
A vrai dire, même si quelques études avaient annoncé par le passé un net recul de la popularité du Président de la République depuis qu’il a accédé à la magistrature suprême, force est de reconnaître qu’il est parvenu à redresser la barre malgré un paysage politique instable. Quels que soient les critères de sondage, les techniques employées, la représentativité de la population sondée, le Président Kaïs Saïed conserve la première marche du podium et un leadership confirmé.
Mais comme on reconnaît l’arbre à ses fruits, il est judicieux d’admettre que Saïed n’est pas du genre à égrener un bilan forcément flatteur. Que l’homme ne cherche pas une place dans les sondages, mais dans les cœurs des Tunisiens. De mémoire, on n’a jamais vu un président tunisien s’approcher aussi près de quelques manifestants déversant sur lui insultes et injures. Il avait bravé le protocole à Paris pour aller à leur rencontre, parler et dialoguer avec eux. Car c’est un président qui n’a pas peur de son peuple. Sans chercher à esquiver leurs questions, il leur a tenu un langage de vérité. Cette séquence houleuse dont l’objectif était de rabaisser l’image du président alors que le gouvernorat de Tataouine connaissait une grogne, les foudres des internautes et des Tataouinis se sont abattues sur les auteurs de ces invectives. En parfait démocrate, Saïed n’a pas accepté que l’on touche à l’un de ses détracteurs, ni à l’interpeller. Cette proximité avec le peuple s’illustre aussi par son comportement citoyen, que ce soit à travers ses prières dans des mosquées implantées dans les zones les plus chaudes et les foyers de pauvreté ou dans ses déplacements à l’intérieur des régions. Il reçoit à tour de bras familles de martyrs, de jeunes talents, des orphelins de jihadistes, des blessés de la Révolution ou tout simplement des délégués de sit-inneurs.
Ses variations, ses humeurs, ses foucades restituent aussi la réalité de sa pensée, que l’on partage ou pas. Et même si on a essayé maintes fois de l’entraîner dans les tiraillements politiques, il a su toujours rester en dehors des conflits et des querelles intestines. Pour maintenir le bateau Tunisie à flot, il n’a jamais été un acteur de la turpitude. Sa position sur la question libyenne, sur la crise politique et gouvernementale, son succès au Conseil de sécurité et son rêve d’un TGV, d’une cité médicale pour une Tunisie nouvelle, le remettent sur orbite à chaque fois qu’on essaie de l’enfoncer.
C’est pourquoi, bien téméraire seraient les haruspices qui se hasarderaient au moindre pronostic quant à sa chute dans les sondages.
Panorama à géométrie variable
Mais ce sondage révèle aussi que la liste des rapines politiques est longue et que le paysage politique, qui est à géométrie variable, ne cesse de se transformer au profit des outsiders. C’est dans ce cadre que le parti Ennahdha, historiquement détenteur de la première position, n’a pas su visiblement la conserver. Le parti islamo-conservateur paye au comptant le prix de ses erreurs. Puisqu’il est en net recul face au PDL qui ne cesse de gagner en popularité et s’installe confortablement à la première place, avec un score qui s’élève à hauteur de 29% des intentions de vote.
Ennahdha, en regardant tout le monde de haut, et ses dirigeants imbus d’eux-mêmes, persuadés d’être les meilleurs et les seuls citoyens capables de développer leur pays et que sans eux, rien n’est possible, sont en train de subir le revers de cette prétention. C’est un parti qui s’érode à vue d’œil, laissant à ses belligérants dont la liste ne cesse de s’allonger un champ de bataille propice à leur éviction du pouvoir. Ce qui semble conforter les choix politiques de la présidente du PDL, Moussi, adversaire déclarée du parti de Ghannouchi qui poursuit son recul, n’occupant désormais que la deuxième position avec 24,1% des intentions de vote.
Quant à Qalb Tounès, qui poursuit son inéluctable dégringolade, ne récoltant qu’un maigre 11% des intentions de vote, il paye aussi le prix de son rapprochement avec Ennahdha. Ce retour inattendu de Qalb Tounès dans l’arène aux côtés de ses pires détracteurs est ubuesque et n’est pas du goût de ses électeurs.
Certes, l’heure des bilans et des testaments n’a pas encore sonné, mais ce sondage confirme que les cartes sont déjà rebattues et que la prochaine étape ne mettra sur orbite que les étalons performants qui auront su conquérir les cœurs des Tunisiens par l’action et qui placent l’intérêt supérieur de la patrie avant leurs calculs partisans. Et que l’histoire retiendra qu’au moment où les Tunisiens priaient pour un sursaut salvateur, certains acteurs politiques ont continué de donner la détestable impression de danser sur un volcan. Cependant, une seule certitude émane de ce marasme politique :Saïed demeure maître des horloges et les rapports de force lui sont toujours favorables.